ZONE LIBRE
Aujourd’hui, on ne peut plus photographier les gens dans la rue, comme le faisait par exemple Cartier Bresson. Le développement du droit à l’image impose maintenant de faire signer des autorisations, ce qui réduit la liberté de création.
Le droit à l’image étant entendu comme « l’ensemble des caractéristiques d’un individu permettant son identification », j’ai choisi de river mon objectif vers le bas, dans la « zone libre » (de droit), pour respecter le droit à l’image.
Et d’explorer les zones « non-identifiables » de la vie urbaine, où ma liberté était totale, et où l’enjeu pour moi était de réussir à trouver une nouvelle façon de capter le mouvement, l’instant, l’émotion, les harmonies de couleurs que jusque-là j’avais cherchés dans les visages.
Travailler sur le refus de l’identification m’a renvoyé l’image d’un flot d’anonymats, de formes fugitives, dont l’identité se dérobait à mon regard, et dont j’ai choisi de rendre compte en utilisant des vitesses lentes, impliquant des effets de flou.
ZONE LIBRE dresse ainsi le portrait librement dérobé d’une vie urbaine en mouvement perpétuel, cherchant en vain à se soustraire aux regards, mais dont l’humanité se donne à voir au gré de ses lignes de fuite.
« Des jambes, des pieds, des pas, c’est ce que Boris V, alias Boris Vernis, a choisi de capter, pour se rapprocher du cœur du mouvement. Dans le flou, bien sûr, car la vie jamais ne s’arrête. Dans le flou, surtout, car le mouvement, c’est précisément cela,une impression fugace de matière, de couleur, d’éclat, de vibration. Un sens caché à l’action. Comme si nos corps racontaient, malgré nous une autre histoire. C’est une poésie du mouvement, que nous découvrons ici. Ce ne sont plus des jambes, mais de larges coups de pinceaux, trempés dans des encres, qui se fondent dans la matière. Des idéogrammes imaginaires,qui nous emmènent, on ne sait jamais où. Et donc, forcément très loin. Aussi loin que nos fantasmes nous le permettent. L’émotion est là, justement, dans le hors champs. Hors champs des visages, et des destinations. Et ces jambes étêtées se mettent à nous entêter. »
Laetitia Aït-Ali (scénariste)
Ce travail exposé à la galerie Caroline Tresca, a fait l’objet d’une maquette de livre dont la préface devait être signée par Lucien Clergue, co-fondateur en 1970 avec l’écrivain Michel Tournier et l’historien Jean-Maurice Rouquette, des Rencontres d'Arles (anciennement nommées Rencontres internationales de la photographie d'Arles).